De coeur & de sang

L’heure est grave.
Il faut que vous lisiez L’Élégance du hérisson, quoi qu’il arrive – même s’il tombe dans le fleuve (où vous irez bien sûr le chercher), même s’il vous épuise psychologiquement (un peu de nerfs, pardi) et même si la file pour le louer à la bibliothèque est longue comme vos deux jambes mises bout à bout (votre patience mérite un tel chef-d’oeuvre).

Pourquoi? Pourquoi? criez-vous.
Parce QUE.

L’histoire, c’est celle d’une concierge, au 7 rue de Grenelle à Paris. Elle se fait passer pour ce qu’elle devrait être, une concierge repoussante et sans trop de jugeote, mais le fait est que Madame est très intelligente, et cultivée avec ça. Autour d’elle gravite le gratin du Tout-Paris; car l’immeuble est dans le très chic, huppé, là où les femmes bien mises de maris cravatés passent sans voir rien d’autre que leur propre reflet qui avance. Donc, avec des phrases-à-la-Proust et des expressions-à-là-crème-fleurette, on découvre petit à petit une concierge formidable, très humaine, avec une plume ma foi bien exercée.

Mais il y a autre chose. Cette autre chose, c’est une petite fille de douze ans, exaspérée par sa famille de riches qui ne vit pas, et qui décide que le suicide en vaut la peine et qu’il est pour bientôt. Paloma (de son nom) décide donc de tenir un Journal du mouvement du monde, où elle raconte le va-et-vient de l’immeuble, ses pensées profondes (n°1 à n°16) et sa relation avec des gens (nouveaux) qu’elle apprend à côtoyer – et à aimer.

Ce sont donc deux narratrices qui nous racontent leur quotidien (souvent très banal, parfois plus tourmenté), leurs pensées, et aussi tout ce qu’il y a d’absolument savoureux dans la vie. Tout court.

La franchise est ici de mise: je n’étais au départ pas du tout emballée par le roman. Je trouvais le style franchement narcissique, l’utilisation de grands mots déplacée, la prolifération de clichés assommante. Et je maintiens toujours que le style devient un peu lourd par moments, que certaines envolées lyriques auraient pu être coupées au pupitre. Mais bon, bref, je me disais que je le finirais et que. Mais à cent pages de la fin, je me suis dit Ô que je me trompais.

En connaissant les personnages, en passant d’un esprit à l’autre, en voyant par le regard de l’une ce que l’autre vient de vivre, on s’attache, on s’émeut, on passe près de pleurer, et surtout, on s’émerveille. Totalement. Il faut savoir bien lire, bien assimiler les paragraphes coulés dans la grammaire Grévisse et le vocabulaire Robert. Mais les paragraphes, croyez-moi, sont bien coulés dans le béton du bonheur.

Ça parle de pluie, de Mozart, de camélias, d’amitié, de nouilles japonaises, et on ne s’ennuie (presque) jamais. Tout s’emberlificote, tout semble converger vers une fin toute tracée, et puis on sursaute, Mais non!, Ah!, on veut continuer à lire, et puis on est tellement ému qu’on en vient presque à sentir les larmes monter et le coeur flageoler. Parce que c’est tristement magnifique, parce qu’on comprend, ou parce qu’on sait maintenant qu’on n’est plus les seuls à savoir. Savoir que la vie, c’est tellement beau.

/Muriel Barbery, L’Élégance du hérisson, Gallimard, 2006.

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