La parole de Jan Karski

Voilà un livre qui m’a bouleversée. On croit toujours avoir tout entendu, tout lu ou tout compris de l’extermination des Juifs. Or il n’en est jamais rien.

Vous vous souvenez, j’avais critiqué sur Ici Geneviève le livre La Nuit, d’Elie Wiesel. Ma critique avait expliqué à quel point le récit de ce rescapé de la shoah était différent de ce que j’avais lu jusqu’à présent. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Jan Karski est tout aussi émouvant, tout aussi unique.

Divisé en trois parties, Jan Karski est à la fois un récit, un documentaire et un roman. L’auteur, Yannick Haenel, retrace la vie du résistant polonais Jan Karski, qui a parcouru la Pologne, l’Europe puis le monde entier pour livrer le seul et unique message de sa vie: celui que les Juifs d’Europe étaient en train de faire massacrer. Et personne, ou si peu de gens, n’ont voulu l’écouter.

C’est la vie de ce résistant polonais, né en 1914 à Łódź, en Pologne, que Yannick Haenel retrace dans Jan Karski. D’abord par le biais du récit d’une entrevue – très difficile – accordée par Jan Karski à Claude Lanzmann, réalisateur du documentaire Shoah, à la fin des années 70. Dans cette entrevue, on commence à connaître Jan Karski, on le voit pleurer, refuser d’en dire plus, de retourner en arrière. Claude Lanzmann insiste, pose des questions. On sent la tension, mais aussi la douleur de ce Polonais dont la mémoire est écorchée à vif.

Puis, Yannick Haenel continue la plongée dans la vie de Jan Karski par un résumé du livre publié par celui-ci en 1944 à propos de son expérience de résistant, Story of a Secret State. De façon chronologique, on remonte dans la vie du personnage, au tout début de la guerre, puis on suit son intégration à la Résistance polonaise et ses multiples missions. Ici, c’est la vraie guerre, celle vécue non par les soldats, mais par les gens qui ont été autrement courageux.

Enfin, la dernière partie du livre est un roman, inspiré de la vie de Karski et de la Seconde guerre mondiale – mais cette dernière partie est si réelle qu’on croirait que le résistant lui-même nous parle, malgré qu’il soit mort il y a neuf ans. Toutes les questions, autant philosophiques qu’historiques, que soulève cette troisième partie sont épouvantables, mais entraînent dans le passé comme jamais. Pas une phrase n’est de trop.

Je vais vous l’avouer, ce livre m’a soufflée par la solidité de ses arguments – ou plutôt, par la justesse de son propos. Tout ce qui y est dit suscite une réflexion troublante. Je vous laisse vous en faire une idée avec les citations ci-dessous.

«En Pologne, il n’existe pas de gouvernement de collaboration avec les Allemands, comme il en existera par exemple en France. Et, contrairement à la France où la Résistance va mettre du temps à s’organiser, plus encore à agir, la Pologne bascule immédiatement dans la résistance.»

«Quand je suis sorti du camp avec le gardien, à peine avons-nous rejoint la forêt que je me suis mis à courir. J’avais envie de vomir, et je sentais que cette nausée ne s’arrêterait pas, qu’elle irait jusqu’au bout. J’allais vomir le fait d’être en vie.»

«Si l’extermination a pu avoir lieu si facilement, c’est parce que les Alliés ont fait comme s’ils ne savaient pas. Ainsi, en sortant de mon entretien avec Roosevelt, le 28 juillet 1943, avais-je compris que tout était perdu: les Juifs d’Europe mouraient les uns après les autres, exterminés par les Nazis, avec la complicité passive des Anglais et des Américains. (…) J’ai passé plusieurs heures à voir le monde s’écrouler; j’ai compris qu’il ne serait plus jamais possible d’alerter la  »conscience du monde », comme me l’avaient demandé les deux hommes du ghetto de Varsovie; j’ai compris que l’idée même de  »conscience du monde » n’existerait plus.»

Même s’il est une prise de position d’un bout à l’autre, je n’ai senti ni haine, ni pitié dans ce livre; simplement le récit, très troublant, de la vie d’un homme qui a vu le pire et qui a réussi à en survivre tout en délivrant partout le message qu’on lui avait donné comme mission de transmettre. Coûte que coûte.

Quand j’ai refermé la couverture de Jan Karski, je me suis dit que notre petit quotidien, bien ordinaire, est tellement paisible face à ce que tant de nos confrères ont traversé. C’est plus fort que moi.

/Voici la bande-annonce de Shoah, le documentaire de Claude Lanzmann.

/Yannick Haenel, Jan Karski, Gallimard, 2009.

un commentaire

  1. Félicitations pour votre blog —
    Je vous invite à consulter mon: http://www.devaneiosdevida.blogspot.com/
    Vous y connaissez un peu détective petit pays, très anciens mais avec de bonnes personnes, la bonne nourriture et de beaux paysages: Portugal. J’écris et je parle un peu anglais, espagnol, français, italien et portugais. Le portugais c’est une langue trés intéressante pour l’apprentissage.
    salutations

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