Mon Québec en moi

C’était l’après-midi, un samedi. Le ciel avec ses longs rouleaux noirs fouettés par un vent frais semblait indécis. Le mont St-Hilaire, majestueux, dressait sa carcasse de roc sur mon horizon ébloui par la splendeur du rien. À travers la vitre, je l’ai vu s’approcher comme j’aurais regardé l’Amérique venir à moi au temps de Cartier.

Je suis débarquée sur la terre un peu inégale, un peu vallonnée d’un grand verger montérégien. Impossible de ne pas humer le parfum des pommes, de ne pas voir l’air se dilater devant soi pour ouvrir toutes grandes les portes d’un premier bonheur: être ailleurs.

Dans le sentier déplié sous mes pas, tracé de deux ornières boueuses, j’ai revu mes automnes d’hier. Revu ces balades sur l’Île, ces ravins de l’Anse, ces chemins de chez moi. L’air à cet instant sentait ma vie d’avant et les souvenirs de mes grands champs. Il ne faut jamais croire qu’on ne peut pas revenir à soi.

Assise sur le bois d’une table à pique-nique, dans le soleil brûlant d’une clairière adorable, j’ai croqué une baguette et grignoté des légumes avec quatre compères souriantes, l’azur tout troué de blanc au-dessus de ma tête. Si j’avais pu rester vissée sur ce banc jusqu’à la fin du monde, j’aurais peint ce tableau pour qu’il reste justement du monde un petit morceau d’un grand espoir pur.

Enfin j’ai cueilli quelques pommes, croqué des pelures, trimballé sous mon bras du cidre et un jus frais. L’après-midi s’en est allé trop vite, le mont a rapetissé dans mon horizon et la ville a rebondi sur mes oreilles avec l’écho d’un monde très vide.

C’était l’après-midi, un samedi. Ce n’étaient que quelques heures. Mais ces quelques heures ont rappelé à ma mémoire qu’il est toujours possible de naviguer pour revenir chez soi.

Photo
Chemin du verger au Mont St-Hilaire | Geneviève Tremblay

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