La tentation du monde

«Je connaissais depuis longtemps la rumeur selon laquelle un véritable backpacker n’en est pas encore tout à fait un tant qu’il n’a pas mis les pieds en Inde.» Première phrase, déjà on tombe dans le vif du sujet: l’indéfectible tentation du voyage d’un Québécois qui, sac au dos et responsabilités mises en veilleuse, cherche encore pourquoi l’inconnu peut tant l’obséder.

Difficile de faire plus personnel en terme de récit de voyage. Ici, Patrick Doucet fait tomber toutes les barrières de la pudeur et du non-dit pour nous faire aborder, dans un langage juste mais simple, les aléas de ses errances sur les cinq continents qu’il a foulés pendant 16 ans. Avec le recul des années, aidé de ses notes prises à l’époque de l’exil, il raconte page après page ses relations amoureuses éclatées, ses pulsions de voyageur-né, ses amitiés de backpackers tissées au hasard des routes et ses innombrables anecdotes de terrain, dont il rit encore des années plus tard.

Si les pérégrinations du voyageur amusé sont ma foi fort riches en humanité, elles n’en expliquent toutefois pas mieux un pays, une culture, un ailleurs. Dans ce récit plus anecdotique qu’autre chose, où on se perd souvent dans la chronologie incertaine et les innombrables prénoms — Tina? Manon? Martin? Mario? —, rien n’a malheureusement suscité d’images fortes en moi. Ou si peu. Je ne me suis pour ainsi dire jamais sentie là-bas, près de ces gens dont parle Patrick Doucet, ni dans la chaleur indienne, tiens, ou dans ce désert au vent sec — un critère ô combien essentiel à la lecture d’un récit de voyage. Voilà pourquoi celui-ci est sympathique, sans plus.

De toute évidence, l’auteur n’a toutefois nullement l’intention de révolutionner le genre. Pas de morales lancées sans scrupules, pas de grands flas flas: il met cartes sur table phrase après phrase, dans un style très terre à terre qui n’a rien à voir avec l’idée romantique que l’on se fait parfois des voyages devant de jolis paysages. La pensée est limpide, l’écriture ma foi assez basique et on suit le voyageur aux quatre coins du monde, sans trop passer de moments dans sa tête. Il raconte ses voyages sans prétention, et pour cela, c’est gagné.

Mais j’ai été déçue de voir arriver le piège, un peu facile, de l’écriture mécanique des journées qui se suivent, sans que l’auteur étoffe son récit de ce qui témoigne souvent d’un réel talent d’écrivain: ambiance, atmosphère, philosophie, histoire… Une mise en contexte, un peu de chair autour de l’os auraient sans aucun doute davantage accroché le lecteur en soif d’ailleurs. Quelques passages sont beaux, comme celui où, sur un bateau dans la nuit de Thaïlande, le jeune homme de 24 ans à l’époque comprend sa liberté. Mais il manque au récit cette étincelle qui aurait pu lui donner une âme.

La Tentation du monde est au final le récit d’un homme ayant connu la jeunesse de bien d’autres Québécois un peu perdus, partis ailleurs moins pour trouver qui ils sont que pour passer le temps en attendant de le trouver — et, par le fait même, le temps de cultiver quelques leçons de vie au passage. «Voyageur, voyageur, accepte le retour / Il n’est plus place en toi pour de nouveaux visages.» À la dernière phrase, voilà enfin un brin de sagesse retrouvée.

/Patrick Doucet, La Tentation du monde, Espaces, 2007

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